EN COURANT
(sympathicotonie)
Comme je descendais de fables impossibles,
je ne me sentis plus guidé par un ailleurs.
J'ai vu l'épave du grand insubmersible et
la carte météo pour les six prochaines heures...
En courant malgré moi, par pesanteur, j'allais là/
où toute précipitation se destine,
dans le creux du bassin versant, oui tout en bas,
me ralliant à l'infiltration clandestine...
(Aïe aïe aïe, je me mouille et m'essaie au pastiche.
Sur les pieds s'il vous plaît. Tout en alexandrins.
ça va partir en couille, au vu des z'hémistiches !).
Je m'écoule comme j'disais/ sourds avec ou sans drain...
Jusqu'à ce que je croise un bras de rivière,
qui s'aventurait pépère non loin de Durbuy,
la plus petite ville du monde – à c'qu'on dit.
Jamais depuis je n'ai franchi la frontière...
Je passe mon temps comme le ferait un pêcheur,
à jeter/rejeter mes lignes au fil de l'eau/
s'enfuyant sous mes yeux d'immobile spectateur
– l'occasion rêvée de réviser ma philo :
Comme le disait en langage clair Héraclite :
on ne trempe jamais deux fois dans la même flotte,
sur ce Parménide évidemment s'invite et
tente de nous refourguer sa camelote :
Être ou ne pas être ? Je m'en bats les gonades
– la question c'est : que diable vais-je devenir ?
Pour le savoir, dois-je atteindre la noyade ?
Plonger dans le flux et non le laisser courir ?
Dans ce cas : profiter du dit moment-présent
revient à détruire mon identité passée.
Non, il n'y a jamais eu d'ici-maintenant
qui n'soit autrement à ta portée. Désolé...
Demander plutôt son avis au bon roi-pêcheur,
il vous racontera l'argenture des anguilles et
le stress en eau douce des poissons migrateurs
une fois métamorphosés pour leur prochaine vie...
« Dotés de nouveaux yeux pour sonder les abysses
et pour boire l'eau de mer, de nouvelles branchies/
changement hormonal digne d'un supplice !
Rien d'étonnant à c'qu'ils filent tous vers la sortie !
En ce moment-même a lieu leur dévalaison,
croisant peut-être le saumon en sens inverse,
regagnant la frayère pour la pondaison »
– et le pêcheur s'interrompt pendant l'averse...
*
Plouf ! Le temps de dire : « Ouf ! » – J'ai déjà fait mon Ophélie.
Je passe en mode waterproof, aux molécules d'H2O me lie...
Appelez-moi l'Ourthe la basse, je vous prie, du nom de la rivière à laquelle je m'identifie...
(Spéciale dédicace aux amateurs d'hydrographie...).
Au fil de ma psychose, je perds bientôt pieds... ça s'arrose !
À l'écran, sur papier... Et mes dodécasyllabes se décompo-posent...
Avé césar, adieux césures... Bonjour la prose !
Sans mesure mon flow s'impose... et traîne ma carcasse dans son lit, entre autres choses charriées par son haut débit... Nager le crawl de Céline n'est possible qu'en surface... Je ne pratique même plus la brasse... Je me noie, me débats au gré des débris, brassant malgré moi le tout venant... repeignant les algues de mes doigts tant que j'y suis... Une fois vidée ma tasse, je m'abandonne tout entière au courant... ne faisant plus qu'une avec mon élément... et m'y dissout de concert avec tous types d'intrants... Je fais la course au chemin de fer et m'élance à son flanc... Vues du ciel, nos trajectoires s'entrelacent comme deux frères dragons-serpents...
(...)
Nanchenioule ! Néblon ! Et les suivants... Tous avec moi ! Petit à petit, je me grandis des affluents venus rallier mon cas... Bientôt moi aussi, je changerai de nom ! Quand j'aurai gagné ma ville natale... Ma source n'étant point en amont... Vous me trouverez dans les avirons du canal... Une fois passé par les turbines... J'irai me fondre parmi les silures monstrueuses venues des chaudes usines, les carpes communes et les moules invasives... Ne vous sentez pas visé si les mouettes sont rieuses... Enchantée, voilà que j'arrive : my name is Meuse ! L'un des plus vieux fleuve du monde s'il vous plaît, enfin à ce qu'il paraît, revenant de l'ère primaire du massif ardennais... De la sidérurgie au cristal, de l’extraction minière au refroidissement de réacteurs nucléaires, je n'ai pas vu le temps passer en trajet... à ce niveau, je ne suis plus vierge comme au sortir des Vosges... Et dire qu'il n'y a pas si longtemps le jeune Arthur se baignait encore un peu plus haut... Je voyage...
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