AU DOCTEUR

AU DOCTEUR 

Au vrai, toute création de l'esprit est d'abord « poétique » au sens propre du mot; et dans l'équivalence des formes sensibles et spirituelles, une même fonction s'exerce, initialement, pour l'entreprise du savant et pour celle du poète. De la pensée discursive ou de l'ellipse poétique, qui va plus loin et de plus loin ? Et de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l'un équipé de l'outillage scientifique, l'autre assisté des seules fulgurations de l'intuition, qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence. La réponse n'importe. Le mystère est commun.

Saint John Perse

AU DOCTEUR :

C'est fou !

Me faudra-t-il donc passer

par les électrochocs

pour tester ma résilience mentale

et voir ce que je peux encore conserver

de mon individualité initiale ?

Attention les secousses...

Faudrait être sacrément costaud,

à l'instar d'Antonin Artaud...

Tout dépend dans quel sens on se coiffe

de l'entonnoir de la pensée de tous...

TU VEUX DEVENIR POËTE ?

Fais-toi marteau !

*

– « Alors Docteur ? Quoi de neuf depuis tout à l'heure ? À votre avis ? C'est de la folie ? Je suis prêt à tout entendre, je n'écris pas pour me défendre – couché votre Honneur ! J'écris pour me comprendre... et corriger ou non mes horreurs... (En outre, pour faire un parfait sans-faute, il me faudrait un p'tit certif. Il va sans dire que la maladie mentale serait un fameux plusse dans mon CV d'artiste. Merci d'avance pupuce. Veuillez agréer mes sentiments déglingués...

(+~+)

*

À ce propos, j'ai lu dans un segment de Sigmund (même si je suis plutôt Jung) que cette ligne de partage, entre névrose et psychose, se trouve en partie dans le langage, entre le mot et la chose. Comme en témoigne le processus de démétaphorisation caractéristique du discours psychotique, délire littéral, aux signifiants déchaînés de leurs ancrages symboliques... Mettons-nous au moins ensemble sur la symbolique ! Sans elle, tout part en couilles !

(Veuillez pardonner mon langage-organe inopiné et ne surtout pas prendre ceci au pied de la lettre).

Voilà ce qui arrive, quand les correspondances baudelairiennes se corrompent et commencent à battre de l'aile... Quand la conscience cède et ne donne plus la réplique au Réel... ce dernier nous quitte.

Disons que nous sommes ici dans un état-limite. Je suis heureux de l'entendre – déjà ça, c'est un point. Tant que j'ai conscience de mon trouble, tout va bien... au risque de renforcer des mécanismes de défense tels que la rationalisation : transsubstantiation verbale du stress affectif, autant que je m'empresse d'en faire la démonstration.

Non, plus que de structure, c'est d'infrastructure que j'ai soif, de nasses assez souples pour embrasser la houle des systèmes. Le Logos à la rescousse d'une bosse des maths atrophiée par l'argument massue du baptême... »

*

– Je vois, je vois ! me dit le Doc : la nature littéraire du délire monomaniaque voire mégalomaniaque, s'observe intrinsèquement par des obsessions idéatives, amorçant notamment des troubles de notation compulsive [TNC], ou des épisodes de dactylomanie intense, avec pianotite arythmique et souristite sporadique combinées – à la sauce cyber-mimétique. Regardez : l'analyse d'échantillons de textoplasmose du patient nous donne un aperçu du flux de son penser suspecté d'automatisme musical – le style est schizophasique, marqué par une vive tachypsychie, pareil à l'oral; bourré de néologismes, paralogismes, psittacismes, tautologismes, barbarismes, anglicismes, belgicismes – bref, babélisme !

Rappelons que, pour alimenter cette pyréto-poïèse, le trouble est systématiquement associé à une heuristite tout aussi compulsive et une data-limie généralisée. Le processus méta-cogitif poussé à l'extrême peut entraîner une corticorragie sévère avec céphalées stellaires frisant l'ousialyse, oulalah. !

Le total du handicap est clairement dyscompétitif, offrant un terrain favorable au Trouble d'Adaptation Fictive Tragiquement Anarchique [TAFTA] – à ne pas confondre avec le traité de libre-échange transantlatique. ça deviendrait d'la phobie, que ça ne m'étonnerait pas ! Tenez : peur de l'échec (atychiphobie)/ peur du bonheur (eudémoniaphobie) – jusqu'à la cardio-plégie temporaire/ chronophobie/ phonophobie/ photophobie/ phobie administrative et accès de tripalium tremens sévères.

+

Bon. Nous sommes bien d'accord que vous êtes encore loin de l'ataraxie recommandée par Démocrite... Mais la vérité... c'est que je ne vois rien d'alarmant non plus... compte tenu du contexte post-historique... On est juste de mauvaise humeur, ça ira bientôt mieux. Maniaco-dépression classique mon vieux, à l'instar des meilleurs – plus besoin de fluoxetine ! C'est comme les montagnes russes – haut les cœurs – oscillant entre idéal et spleen.... idéal et spleen...

Après tout, est-ce bien si grave d'être troublé ? Franchement... J'aimerais tant vous dire qu'il ne s'agit que d'un simple délire verbal, mais j'ai bien peur qu'en fait rien ne soit inventé.

Une fois retranscrit de manière littérale, c'est vrai que le réel paraît plaisanter... La vérité, c'est que je suis l'être le plus normal et le plus sensé que j'aie jamais rencontré...

– Merci.

– Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade,

dixit Jiddu Krishnamurti.

– Pardonnez-moi, mais vous êtes bien médecin ou gourou ?

– Ni l'un ni l'autre, un peu d'tout...

– [o_Ô]!?

*

Sois gentil, fais comme si je n'étais pas là... il te suffit de compter jusqu'à toi...

Conséquence : je vole en éclat, demeurant à ma grande surprise le même : personne.

TU VEUX JOUER AU PSY ?

Poses-moi la question qui tue :

« Est-ce que tu t'aimes ? »

– ça m'étonne.

J'étais aveugle, à présent je vois en mode kaléidoscopique – cauda pavonis. Je ne suis pas narcissique non, seulement le miroir brisé du monde... son écho noyé sur les ondes...

Téléphone...

– Je réponds : on dirait finalement que ce n'est pas à moi qu'il manque une case dans l'histoire ! D'une manière ou d'une autre, faudra bien me caser quelque part ! Et puis merde ! à défaut d'me dire qui j'suis, foutez-moi au moins une étiquette... et on dira qu'on s'ra quitte... Mettez ça sur le compte d'un Trouble d'Identité-Diagnostic [TID].

+

Je ne sais plus quoi penser... à force de passer... du coccyx à l'anus ( * ) – pseudo-lapsus gratos. Alors ? Ravi l'analyste ? T'as vu l'doss. C'est quoi le verdict ?

– H.P. !

– Haut Potentiel !? vous m'flattez...

– Non : Homme Paumé.

+

(– Quelle arnaque ! Rendez-moi mon ARGENT tout de suite !

– Le métal est mort durant l'opération, je regrette... Mais je peux vous donner la suite de la recette : laver les scories restantes à l'eau tri-distillée pendant deux quarts de siècle et conserver l'élixir obtenu à l'abri de la lumière : c'est le dissolvant universel !

– Que voulez-vous qu'ça m'foute ! Vous connaissez pas l'eau de Javel !)