mercredi 9 août 2023

ENTRAIN

ENTRAIN


Dédiée aux Musiciens.


Prélude à la symphonie ferroviaire qui s'annonce,

j'ai tout le temps d'observer

les flux et reflux des croisées de voyageurs

ayant cours au ventre de la gare souterraine

– la partition est là, devant moi, couchée sur la voie,

plus invisible que du braille,

le rythme d'ores et déjà martelé sur les rails,

conduite offerte aux multi-têtes de lectures

qui nous font présentement chanter depuis les temps futurs...

Ponctuée par les annonces des sirènes,

une œuvre plus grande s'appréhende;

les trains s'en vont et s'en viennent,

tantôt pour recracher d'indigestes individus,

tantôt pour ravaler toute une population,

abandonnant quelques silhouettes stoïques

sur le quai quasi-désertique...


(Un homme craque cependant,

à la vue d'un pigeon s'aventurant près de lui

et profite de l'occasion pour décharger sa rage

en tentant de lui donner un coup de pied – raté !

Je trouve ce geste si petit,

marquant des points au compteur de ma misanthropie,

qu'à l'arrivée de notre train, je ne sais pas ce qui me retient,

quant à moi, de le pousser sur la voie, ce sale con...

Putain d'empathie ! Désolé pigeon).


Je monte en deuxième classe

et vais m'installer sagement près de la fenêtre,

snobant mon reflet apparu comme par magie sur fond noir.

J'enlève déjà mes écouteurs pour ne rien rater du spectacle sonore :

le contrôleur siffle/ le train démarre/

clac/ premier choc répercuté le long de la colonne vertébrale du dragon/

translation progressive du décor/ j'hésite encore, suis-je déjà en mouvement ?

et puis,

percussion après percussion,

s'amorce un premier roulement largo,

proche de la pulsation d'un cœur convalescent

ou celui d'un sportif au repos

Accelerando/

plus les stations s'espacent plus le moteur-fou prend de élan/

jusqu'à trouver son ostinato rythmique/

tadam... tadam... tadam.../

un vieux boogie fantôme datant de l'époque où les voies n'étaient pas encore soudées

– la percussion des croches doubles et pointées est aujourd'hui plus feutrée

et il faut tendre l'oreille pour les retrouver entre deux soupirs,

sachant que le passage d'une voiture égale une mesure, soit 4 temps...

Oublié le blues bien gras et clinquant,

ne demeure qu'une oscillation plus lisse et léchée, à limite du bruit blanc...


La machine lancée,

je sors mon carnet sans plus attendre pour me réfugier dans l'écrit,

chacun son rouage...

et courage :

Extra muros – derrière mon visage, le paysage se dégage ;

les usines ont pris le large au sein de la zone industrielle,

découpée au scalpel et l'on peut voir les barres

des quartiers populaires se dresser à l'écart...

Les avant-plans surgissent à contre sens

tandis qu'à l'horizon, des plats reliefs dérivent comme des glaciers.

Les panaches blancs des usines nucléaires

semblent être la source des merveilleux nuages

envahissant dangereusement le ciel...

aux yeux des enfants...


Tandis que nous accompagnent tout du long,

la transhumance électrique de pylônes désaccordés,

doublée de temps en temps par la migration imminente

des oiseaux regroupés sur leur portée

– la plupart de ces derniers vont hiverner en Afrique

– faut-il en prendre de la graine ?

si j'avais des ailes et une vessie pneumatique...

Je ferais de même...


Effet stroboscopique du soleil intermittent/

l'opinion publique s'exprime entre les dents :

« On donne de l'argent aux réfugiés et on met nos chômeurs à la rue ! Non mais, où va le monde ? » – « Que veux-tu ? »

– Je suis ému, c'est la première fois que j'entends parler des allocataires sociaux avec autant de compassion

– rhétorique de tête de turc facilement sujette à transposition...


Les contrôleurs déboulent dans le wagon et les passagers préparent aussitôt leurs billets.

Mais il s'agit d'un tout autre contrôle : « Paspoort ! » – me demande l'un d'eux, en néerlandais....


Nous nous éloignons toujours plus de notre point de départ

et voilà que je franchis la dite frontière linguistique,

pour preuve, les annonces désormais émises en français.

Le paysage ne tarde pas à changer;

les bâtiments ont sombré pour faire place au calme plat de la terre ferme;

de part et d'autre du wagon,

le patchwork bigarré de la zone agricole

se déploie jusqu'à l'horizon,

ondule peu à peu en creusant ses vallons...

Les tas de betteraves sont prêt pour le transport...

La rivière se rapproche de mon flanc de fer, comme pour me défier à la course...

Le train siffle et nous nous engouffrons dans un tunnel pour déboucher au cœur du massif;

les parois du décor se resserrent; les vitres sont pleines à craquer d'arboricoles arabesques;

la ligne traverse la forêt sans pour autant la scinder;

bientôt, le roulement entame son decelerando...

Et je m'apprête à sauter.



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